Wednesday, October 28, 2009

Dimanche 12 janvier 2003, 9 heures du matin.

Deuxième époque :

la face cash de l’arc-en-ciel

(once upon a way to get back homeward)


Dimanche 12 janvier 2003, 9 heures du matin.

Cet été, j’aurai cinquante ans.

Je ne suis pas prise au débotté en ce qui concerne cet évènement à venir. Je connais ma date de naissance, qui, au demeurant, est portée sur ma carte d’identité. De sorte que si la mémoire me fait défaut je suis toujours en mesure, en consultant cette carte, de calculer mon âge approximativement, et du même coup l’âge que je peux espérer avoir à la prochaine date anniversaire. Je suis une femme que l’on peut qualifier de “inaboutie”. Ni homme, ni maître n’aura pris le temps, ou eu le souci, de révéler et d’épanouir les talents dont j’ai été dotée, puisque la tradition millénaire a chargé les fées de pourvoir les nouveau-nés en se penchant sur leur berceau, et que je me souviens, vaguement, avoir entendu le frôlement de leurs baguettes magiques autour de mon petit crâne duveteux. Si aléatoire que soit la distribution de base, et si lésé que l’on puisse s’estimer quant à la répartition des grâces et des avantages innés, il faut vivre tout de même. Qu’à cela ne tienne ! On dispose du recours à la maîtresse feinte qui consiste à ne tenir aucun compte d’éventuels handicaps de départ ; jouer sa partie en croyant à fond à sa bonne étoile, refuser de partir perdant, est une attitude solide, qui amorce un enchaînement de manifestations de la chance, et appelle des témoignages de sympathie et respect.J’ai dû naître sous l’influence d’un trou noir. Trou noir de galaxie à noyaux actifs, ce monstre cannibale qui déchiquète et dévore les étoiles ? Trou noir de quasar, cadavre compact et dense d’une étoile massive, qui a vécu le temps d’un clin d’oeil ? Trou noir galactique, ou hypergalactique, ogre engloutisseur de galaxies enceintes de plus de mille milliards de soleils ? Embrochée, telle une misérable petite crevette ictérique, dès la première heure de la nuit caniculaire du vingt-trois juillet dix-neuf cent cinquante-trois, sur le rayon de Schwarzschild, le rayon de non-retour, que j’imagine plus acéré qu’une canine de Sher-Khan, Seigneur-Tigre de la Jungle, je n’ai pas songé à lutter contre l’impossible. Le seul combat à livrer c’était d’essayer de m’habituer à vivre, sans perdre de vue que j’arriverais nécessairement à la fin de mon existence. La fatalité offre cette douceur à ceux qu’elle malmène : l’espoir en forme de certitude d’atteindre le palier d’égalité universelle, qui fait de la mort le bien commun de l’humanité. La médiocrité d’une vie est relativisée par sa limitation dans le temps. Pas de déception possible, pas un seul d’entre nous qui puisse craindre d’être berné sur l’évidence de cette issue. La mort, hors de portée de notre choix, austère chaperon de notre naissance qui a échappé elle aussi à notre pouvoir de décision. Inconnue familière, un peu comme une voisine de palier aux horaires décalés qu’on ne croise jamais dans l’ascenseur ni à l’épicerie du coin, et qui intrigue par sa présence invisible, dont on ne peut deviner l’énigmatique dessein. Fée Carabosse qu’on néglige d’inviter à la fête et qui surgit pour se venger d’avoir été méprisée. La mort, mal commun de l’humanité.Chez moi, comme chez tout le monde, traînent ça et là des livres où sont évoquées vie éternelle, réincarnation, et autres catastrophes dont je ne veux entendre parler que du bout des yeux. A chaque vie suffira sa peine. Pour celle-ci, j’ai du mal. Par exemple, je ne comprends pas encore comment les femmes peuvent marcher avec les pieds enserrés dans des chaussures à talons hauts. J’en ai même vu qui, sur des talons aiguilles, dansaient en descendant un escalier. C’était à la télévision, qui permet tous les trucages. Je n’en reste pas moins perplexe devant la performance banalisée de nos “danseuses de rues”, femmes- phénomènes ordinaires qui attrapent des autobus et des taxis en courant sur des trottoirs glissants de pluie et encombrés de gens qui gesticulent dangereusement sans regarder autour d’eux, soit qu’ils téléphonent depuis leur cellulaire, soit qu’ils essaient, eux aussi, de garder leur équilibre. Dans chaque citadine il y a une vie antérieure où elle était berger landais.

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